Depuis toujours le chant, Gérard Bocholier, Arfuyen, 2019
Gérard Bocholier, directeur de la revue Arpa et poète catholique, est un auteur prolifique depuis les années 70. Son recueil précédent, Un chardon de bleu pur, illustré par les peintures de Renaud Allirand, a été publié en 2018 aux éditions L'herbe qui tremble.
Il ne reprend pas ici l'écriture des psaumes à laquelle il s'est longtemps consacré notamment dans un recueil publié en 2010 aux éditions Ad Solem et préfacé par Jean-Pierre Lemaire : mais ce sont des quatrains par couple à chaque fois qu'il choisit pour cet opus de 113 pages.
Un texte-exergue de trois tercets enracine, avec une évidence poétique, l'échange à deux avouant "Depuis toujours" un dialogue de silence et de parole qu' "ici veilleur (l'auteur) recueille".
Puis l'incipit affirme un attachement aux origines pour des jours qui se veulent sereins :
Sur la rive des eaux courantes
Nous avons plongé nos racines
Nous ne craignons du jour qui tombe
Que le vent noir qui s'est perdu
Quant au second texte qui prédit à l'homme "Vendange" puisque "la promesse vacille entre ses paumes" il a l'honneur de la quatrième de couverture.
C'est l'espace-temps qui fournit le cadre de ce début du chant de Gérard Bocholier. L'espace avec la nature et ses saisons ; le temps avec le jour et son midi, la nuit et son soir.
Une poétique donc au sein d'un cosmos adjuvant qui rappelle les plus beaux vers d'Yves Bonnefoy dans Les Planches courbes : "Et quand nous ramassions / Branches et feuilles chues, / Cette fumée le soir puis, brusque ce feu, / c'était l'or encore." :
Tout se tient dans un berceau d'or
Que berce le temps la louange
Suit les vagues toutes les branches
Et la jubilation des morts
Ainsi ce "mendiant comblé" dès l'aube est-il déjà plus riche que de "l'autre versant" et les poèmes suivants s'expriment souvent sur ce thème. Depuis "le bourgeon de clarté" en passant par "la merveilleuse / Lampe rose du fond du jour" jusqu'à "la grâce / Jamais ne m'abandonnera".
Le second volet - l'ouvrage en compte cinq en tout - reprend certaines incertitudes teintées de nostalgie et remplies d'attente qui n'ont pas pu cependant échapper au lecteur attentif :
Ne sachant que répondre
La porte sur le jour
Effeuillé nous restons
Les yeux tendus vers l'autre
Parole et ignorance pour une interrogation ultime à propos d'un destin qui ne peut être éludé :
La mort est là qui reste
Debout dans l'embrasure
Sa peine avec ses plaies
Reflue dans la lumière
Malgré tout le feu et la flamme restent vifs, entretenus par l'amour et la vie :
La flamme sur la cendre
Jamais ne s'éteindra…
Toujours un serrement
Du cœur nous jette au large / Du feu…
On notera, dans les deux derniers textes de cette section, au milieu d'un silence rédempteur, la présence de deux archétypes protecteurs, "L'Ange blanc musicien", le "Prince" et son palais.
Le volet III entérine dès son ouverture le message déjà évoqué précédemment d'un dialogue nécessaire à la parole poétique : "Nous ne craignons rien du maître / Dont nous gardons les paroles". Ainsi à la présence énigmatique d'un "Il" qui rappelle le "ça" de Giono s'associe celle d'une foule d'ombres et de morts qui participe à un monde panthéiste :
Si on ajoute qu'il y a ici, comme il est dit, la marche d'une "prière", on comprend que se forme le miracle d'une "réponse / Qui vaut pour toute la terre". Et c'est, par un principe d'immanence, la sécurité d'une matrice que mime dans deux vers une belle anadiplose :
La terre autour de nous close
Clos le temps sur notre vie
Cette certitude conduit le poète à exprimer son enthousiasme au sens étymologique et, lyrisme oblige, à évoquer par des formules vibrantes de poésie, une anti-apocalypse :
C'est au tournant de cette aube
Que tous les murs vont se rompre
Les dalles fuir et danser
L'Homme dépasser les arbres...
Il pleut de l'or sur la mer
Le lecteur est emporté, strophe après strophe, par le charme fluide d'un véritable chant qui fait écho à celui produit par tous les musiciens et tous les poètes "depuis toujours". Plus spirituellement encore, c'est de l'âme qu'il est question et le dialogue se veut désormais échange spirituel débouchant cette fois sur un miracle, celui ultime de la grâce : "Ta croix d'aurore ajourée / Gage de joie éternelle". Si l'on procède à une étude du champ lexical - "désert","source","tombeau","chair","vision","ténèbres","victoire"etc…- une lecture religieuse de l'opus est à faire de toute évidence et sa musicalité n'est pas sans faire penser, par exemple, aux Cantates de Bach.
Ainsi le feu qui habite le poète-narrateur n'est plus celui d'un homme-phénix mais bien celui de l'oblat qui, sinon aspire la sainteté, du moins cherche son salut :
Ici le salut prend flamme
Nourri tout entier du vent
L'amour se fait alors mystique au sein des quatre éléments alors que le va et vient entre la naissance et la mort est transcendé par "Une lueur d'infini". Un crescendo, par la suite, s'opère jusqu'à la fin du volet. L'élu est illuminé par les dons qu'il reçoit et le regard qui l'a "choisi" jusqu'à l'"extase en l'éternel".
Les deux volets suivants se présentent comme des variations sur ces mêmes leitmotivs où les choses visibles et invisibles participent de cet état de grâce. Un état qui s'exprime, louanges après louanges, par une thématique de la reconnaissance envers le démiurge à la présence généreuse et une expression de la joie qui en émane.
Il convient de laisser au lecteur le bonheur de découvrir ces derniers textes mais en n'oubliant pas de nommer avant, comme une sorte d'acmé, cette strophe qui évoque, une dernière fois encore, la victoire de toutes choses :
Le jasmin s'élance
Contre la muraille
Il sait qu'il va vaincre
L'inerte et l'obscur
Et c'est bien, pour conclure, ainsi que l'annonçait le titre, la victoire, dans "l'espérance" et la "délivrance", du chant lui-même :
Le chant a couvert
La mort de son ombre
Le chant continue
Dans la tombe ouverte…
France Burghelle Rey (juin 2019)