Bethani est le troisième recueil de Martine-Gabrielle Konorski, experte en communication et musicienne également, aux éditions du nouvel Atnanor. Il répond à la promesse de ces premières publications et, mieux, la dépasse non seulement par la qualité de l'écriture mais aussi par la noblesse du sujet : l'Histoire et ses crimes réparés, mais sans qu'ils soient oubliés, par le voyage et l'exil ; l'encre finalement et son rapport avec le sang.
« C'est la route de Bethani / qui s'ouvre devant eux » : les deux premiers vers du dernier recueil de Martine Konorski plantent d'emblée à la fois le décor et l'objectif. Le village, à trois kilomètres de Jérusalem, fut notamment le théâtre de la résurrection de Lazare dans l'Evangile selon Saint Jean et a pour nom hébreu Beth Ania ou « la maison de pauvreté ». C'est la marche vers ce lieu que raconte la première partie, la plus longue, du livre. Un voyage difficile, comme l'annonce le champ lexical des deux premières pages : « poussière « , « larmes « , « brûlera » , « fumée » mais qui va s'effectuer avant de « Rejoindre l'oasis ».
Ce dernier mot montre qu'il s'agit bien d'un rêve - on lira plus loin « Intraduisible rêve » - et dès la troisième page se pose alors une question : « Y aura-t-il une demeure ? ». Mais l'assertion qui suit : « Le voyage sera long » est pondérée par la présence spirituelle et adjuvante du « son / d'un cantique » et de psaumes.
La poète, par ailleurs, grâce à l'art qu'elle possède à maîtriser la chute, laisse entrevoir l'espoir, dans son « attente / millénaire », qui permet d'affronter le désert : « Coulée de ciel vers Bethani », « Espérer Bethani », ou encore « Bethani en deça en delà ». On doit également noter qu' une mise en page aérée permet dans cette « fournaise » de respirer quand des vers isolés et des rejets principalement à droite de la ligne laissent autant de blancs qu'il convient d'avoir de souffles.
Mais Bethani n'est-elle pas un mirage, une sorte d'horizon impossible à atteindre puisque « Toujours ( elle ) s'éloigne » ? Rien cependant ne peut entamer le courage et la persévérance nécessaires à la réalisation de l'objectif. Cette longue et belle strophe en témoigne :
Retrouver Bethani
Une
course au goût de sel
sur les rives éloignées des dunes
trébucher seulement
Sous le cri des chameaux
le poids des corps
se dépose
flaques d 'ombres
brisées à chaque
pas
et la chute optimiste :
les larmes sont de joie
en lames à nos chevilles
s'explique dès l'incipit du poème suivant qui donne, par l'acte de performer, la possibilité d'une solution : « Nommer Bethani / dans le chant » . Ainsi reste-t-il pour les voyageurs à avancer, « consolés / par les feux / du désert ».
La seconde moitié de cette première partie révèle encore des surprises. Le thème du lieu y est exploité jusqu’à ses limites : « Bethani / Un non lieu éphémère ? ». Ces vers annoncent le « non-être » duquel, plus loin, la fin de la marche marquera l’adieu. Car la terre est aussi ce lieu qui s’exprime par les mots les plus concrets. Cette « terre / noire », en effet, avec ses « éclats de boue ». Ainsi le corps et l’esprit sont-ils encore en danger quand « La parole s’abolit », que « Les chants se taisent » et qu’il s’agit bien, en un magnifique oxymore, d’une « langue du silence ».
Mais une certitude se fait cependant à la pensée de l’Eden tout proche : il y aura « une pluie de mots pour demain ». Grâce également à la « la main des étoiles » et au « cri des oiseaux » qui permettent de lutter contre le piétinement. L’odeur du miel et la présence des oliviers sont les indices du rêve prêt à devenir réalité.
L’Histoire, avec ses crimes, va en effet se refermer et « les ombres se dissoudre » quand le chemin, symbole d’initiation, s’achèvera. Dans Une lumière s’accorde, le recueil précédent de Martine Konorski, l’importance d’un monde à rencontrer se formule déjà conjointement à celle de la mémoire et des racines.
Alors, dans la ville où vieillir, « L’Un » enfin sera puisque, exilés mais joyeux, « Nous serons devenus » pour enfin construire.
Le bouillon de la langue, seconde partie de treize pages, tout en étant par définition un éloge de la parole poétique, détourne la question d’Adorno et dit : « Pourras-tu encore regarder / par la fenêtre ? » Il s’agit, sans oublier l’horreur, de « réparer le temps » par l’écriture, encre et sang mêlés.
Déchiffrer l’illisible
brasiers ou
charniers...
Les mots pour
déployer
tous les envols
Car il reste toujours à dire, même la nuit, même le vide. Et si l’aube enfin pointe c’est qu’un jour va commencer.
France Burghelle Rey © (août 2019)