A propos de Proust et de "Sur la lecture" :

Durant cette période difficile où la lecture d’un livre entier ne m’était pas permise, il me restait à butiner, à picorer, abeille ou oiseau, dans tous les cas, humaine désemparée, des mots, des expressions des phrases comme autant de tremplin à l’acte d’écrire. Je reprenais ainsi sans cesse, même s’il était très peu épais, le livre de Proust "Sur la lecture", comme aimantée par son idée que le livre - « idole » ne me concernait pas et que j’étais le cas extrême du lecteur qui ne voulait pas se faire avoir par une activité passive et cherchait à tout prix à conserver liberté et autonomie.
Je me rappelle à ce sujet ma peine un jour que j’étais dans ma cuisine à me dire que je pourrais pas présenter mes textes à Cocteau. De même Proust n’est plus là pour me rassurer et m’éclairer. Quel écrivain pourrais-je trouver à qui parler de ces angoisses ? Il me vient l’idée de publier sur le réseau que j’appelle à juste titre "littéraire" des extraits de ce drame de le lecture et d’en attendre impatiemment les commentaires.
Et c’est dans ce petit livre, que je croyais être un éloge de la lecture pouvant donner des clés à mon problème d’inhibition, que je trouve la solution ? Car Proust dit au contraire que cette activité est insuffisante, qu’il faut trouver sa propre vérité en se dégageant de celle des auteurs, qu’elle est au seuil de la vie spirituelle et qu’elle ne la constitue pas. Est-ce finalement rassurant de comprendre qu’il raisonne en créateur, trouvant à la lecture une forme de passivité et sous-entendant que l’écriture est la voie ultime vers la connaissance de soi et du monde ?...
Il est banal de revenir à Proust mais c’est bien là, pour reprendre son idée par rapport à l’insuffisance de la lecture, que sont ma liberté et l’expression d’une vie spirituelle ou du moins d’un reste d’âme que m’accordent l’écriture et l’effort personnel d’un travail quotidien pratiquant si souvent l’anamnèse. En avançant plus loin dans sa lecture j’ai confirmation que cette façon de vivre est celle qui peut le plus épanouir et je comprends enfin que remplir les heures de vide par la lecture n’est pas la solution. Proust écrit en effet à propos de la lecture : « C'est donner un trop grand rôle à ce qui n’est qu’une initiation d’en faire une discipline. ».
Il reste qu’on a jusqu’à son dernier souffle, sans aucun doute, besoin d’être initié et, dans le cas de l’écrivain, d’être inspiré par des phrases, des textes qui servent sinon d’étais, du moins de tremplin à la création. Ainsi le poète - j’en ai l’exemple par moi-même confirmé par celui de Vénus Khoury-Ghata à qui le peintre Matta donnait un mot – démarre souvent en flèche comme d’un starting-block à partir de la lecture d’un seul mot imprimé au milieu d’une page en vers.
Je ne manque donc pas de m’entourer de petits livres possibles à finir et de recueils à feuilleter, de lire les publications de mon réseau littéraire et de chercher tous les moyens bons à trouver le maximum d’idées à exploiter. Mon attente n’a pas été comblée par l’opus de Proust qui s’est étendu en digressions loin de ce que pouvait laisser présager le titre et j’ai vite senti qu’il me faudrait passer à autre chose dans ce livre-mosaïque, ayant compris principalement que la lecture était « un miel tout préparé par les autres » même s’il fallait en respecter la noble tradition propre à polir l’esprit qui veut éduquer « ses façons ». Et bien sûr il serait injuste d’omettre la qualité principale des livres classiques qui est cette beauté du langage sur laquelle l’écrivain conclut.

Texte inédit

France Burghelle Rey