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4 décembre 2010 6 04 /12 /décembre /2010 05:50

Naissances d'argile, Joëlle Pagès-Pindon, Editions du  Frisson  esthétique, 2010, 13 euros

 

( Avant-propos :

Mon premier réflexe, avant de lire le recueil de Joëlle Pagès-Pindon, a été d'aller voir la Table et j'ai immédiatement été frappée par la richesse et l'originalité des termes choisis pour les titres. Il m'est resté alors l'envie, dans l'enchantement de cette page qui embrasse le monde, de l'utiliser comme réservoir de mots pour créer, à mon tour,  un nouveau langage. )

 

 

Ce qui frappe tout d'abord, à la lecture des premières pages, c'est l'exigence apportée au travail des mots et du style, la maîtrise  d'une écriture où rien ne semble avoir été omis.

Ainsi le poème liminaire arrive-t-il à exprimer l'ineffable et, par sa concision et le choix des termes, à développer le sens oxymorique de son titre " L'écho d'une absence". " La " Parcelle d'infini ", qui est aussi un vide appelé "Rien " prend vie  par la typographie et par les majuscules. De la strophe I à la strophe III un camaïeu, qui de la couleur blanche passe à celle de l'argile et de la glaise, évoque subtilement l'absence et en est bien son écho poétique.

Après ce cri initial, les " arbres voraces " , avant le constat de la non-existence,  du " Hors-JE " sont un symbole de vie et, par son allitération gutturale, l’expression " corps tronqué à l'équerre " mime véritablement l'angoisse.

Comme celle de l'arbre, il y a plus loin " l'humaine verticalité " d'un funambule qui est aussi sur l'horizontale du temps. Ce " fil étiré de l'avant à l'après " se retrouve nommé, à l'aide d'une métaphore ingénieuse, dans le titre suivant " Diptyque ". Dans cet espace-temps s'opposent en deux colonnes sémantiquement opposées ciel et terre.

Puis, comme dans les rêves où  se font les analogies, " Portes battantes " illustre  la section « Enclos d’ombre » et voici édifiée une construction nommée " portail de bois ". Sur sa gauche s'annonce Osiris et en plein mitan " Isis est là " faite de " terre grumeleuse et de fer rougeoyant ". La métaphore matérielle sera filée ici même in absentia avant que ne soit clairement nommé un mobilier cette fois entier et tout autant symbolique. Mais que va-t- il naître de l'embrassement des deux divinités ? Comme Osiris, grâce à la magie d'Isis, - la mythologie le dit bien -  peut revivre et, avec lui, sa puissance créatrice, leur rencontre métonymique  provoque l'interrogation du lecteur qui se demande ce qui va naître de cette nouvelle expérience, à vrai dire, poétique.

Dans la suite de la section, la paronomase de " Vaisselier vaisseau ", qui, au-delà du sens, rend les mots aimables pour leur musique, est encore un signe de créativité et nous entraîne dans l'originel, " la mère première".  La poète, en parfaite étymologiste, part de la matière, donc du concret, de l'objet et, après Rimbaud et son célèbre buffet, décrit aussi l'armoire " à l'arc en plein cintre ", annonce de la circularité qui sera évoquée plus tard. Ce poème mérite d'être cité pour son équilibre, son harmonie formelle et sémantique. Et c'est ensuite que sert de chute "Le chiffonnier Louis XV " où les " berceaux ", servent d'images aux catacombes et sont "mort-nés ". Y tombe, en effet, " le couperet de marbre", provoquant la fin apollinarienne des deux derniers vers : " Cou froid / Sectionné ". S'il y a bien ici une vie morte, il y aussi une mort vivante et c'est "Le fol paradoxe de la mort sous cape / Qui bourgeonne / Et fleuronne ".

Il faut noter que, même dans le constat le plus abstrait, Joëlle Pagès-Pindon sait rester ancrée dans un réel attachant ; après les " anges dorés " du chiffonnier, elle nous offre une description et une narration finement ciselées dans deux poèmes aussi surprenants que percutants : " Les argents oubliés " et " Le flacon précieux ".

Le titre de la section III " Bruissements des mots "  se justifie dès le premier poème" Pays paysages " et confirme un vrai parti pris de musique. C'est avec le deuxième texte  où l'arbre éponyme est magnifié - l'incipit avoue :  "  A / L'écrire / C'est le ciel et la terre /  Réunis "    - que  l'enchantement atteint  son comble. L'enfance et ses contes y revivent dans leurs forêts et la présentation des lieux touche alors au baroque car ce sont autant de " grandes voûtes sonores " que  de " jungles parfumées " et de " bois calcinés pétrifiés ".

Cette ouverture se poursuit et prend la forme demi-circulaire des voûtes avec " la rotonde du calice " et le " sein de l'espace " de " Coupole ". Le thème est redondant jusqu'à la fin du texte qui dit : " Mamelle / A enclore débonnaire / L'imparfait / Du grand ciel ". Puis une certaine intimité se fait au travers du poème " Eglise " . Celui-ci déploie  " L'efflorescente moisson / De ses croix dénudées " et fait sentir encore cette tension qui, dans le recueil, alterne avec des pauses. La description suivante, dans laquelle la rose est à la fois repos et " point d'orgue",  en est justement un exemple.

C'est alors que s'exprime, dans une poésie sans pathos et sans complaisance, un certain lyrisme jusque là distancié. A l'apostrophe " O la froideur des flammes " s'ajoute une suite de questions inquiètes  qui sont autant d'expressions du " je " en quête. Mais, tournant le dos à la facilité du ton, l'écriture pousse la langue dans son retranchement. Ainsi le fait-elle dans " Miroir placide " où est décrit un monde qui se délite au point de faire froid dans le dos.

L'auteure de Naissances d'argile a du souffle. Pour continuer la lecture, il faut également prendre sa respiration et lire d'un seul trait des poèmes au rythme et au sens circulaires. Sans cesse, auparavant, s'entrelaçaient des isotopies qui regroupaient les champs lexicaux des différents règnes qu'ils soient minéraux, végétaux ou animaux. A celles-ci s'ajoute désormais l'image du cercle dite ou suggérée et c'est bien elle qui, jusqu'à la fin du recueil, prédomine sur les autres figures géométriques, ellipse, triangle ou rectangle. Le poème " Cérémonie " rappelle la récurrence de la demi circularité avec " la scène " et " la touffuse corolle " tout en annonçant, à l'aide de l'image du " galet ", ce thème du cercle, symbole de la perfection et  de l'idéal à atteindre, qui sera développé dans " Temps circulaire " par des mots et des expressions comme " le discobole ",  " la pupille arrondie ", " les confins rebondis de la circonférence ". C'est sur le naufrage du vaisseau-berceau qui se fend et met fin au désir " D'embrasser / Et d'enclore / La mouvance du temps " que s'achève ce texte.

Mais le cercle représente aussi l'angoissante condition humaine. Le poète, et tout homme à travers lui, pour l'oublier, aspire à la verticalité et cela même si l'arbre est " inachevé ". C’est pourquoi,  alors que la cathédrale, symbole sacré de la verticalité, est " castrée ", le saut à la corde, à la fois circulaire et vertical, peut être, en conclusion, à l'origine de la joie du poète-saltimbanque.

Par là, au lecteur averti – Apollinaire fait encore sentir son influence – sont données encore des joies et des surprise esthétiques. Il faut dire que le poème, digne, par sa technique et par son esthétique de la surprise, du génie d'Alcools, suscite un espoir à l'issue d'un texte poétique tendu par le questionnement.

Après la lumière, l'ombre se fait de nouveau et la tragédie, heureusement atténuée par un travail sur les couleurs, clôt le recueil avec l'Antigone et l'Ophélie de " Femmes de pierre ". Ce chromatisme, bien qu'il qualifie  le deuil et l’engloutissement, est une preuve de plus de vie.   

Le recueil s'achève sous le signe  de la géométrie, mais aussi sous celui de la sculpture et de la peinture car, pour Joëlle Pagès-Pindon, il ne semble pas y avoir de séparation entre les disciplines. La poésie s'est faite ici peinture et le livre lui-même est sculpture. Ainsi est tenue la promesse initiale prononcée dans le vocatif d' " Un livre à venir " : " Stèle traversée / Par le souffle du vent désirant / Voici que s'ouvrent et se soulèvent / Les pages / Paroles bruissantes de l'homme ".

Autant de " naissances d'argiles " que de poèmes magistralement créés ont eu lieu " dans " leur gangue de glaise " sous les yeux du lecteur attentif et admiratif.

 

                                                                                   France Burghelle Rey

 

 

 

 

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