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26 avril 2017 3 26 /04 /avril /2017 08:44

Dans son premier livre de poésie l'écrivain comtois reprend, de façon obsessionnelle et en digne héritier de la Beat génération, le thème de la route qui ouvre et clôt le livre. Il le traite à l'aide d' une véritable allégorie, symbole de la solitude pour un beatnik avoué comme tel dans trois poèmes autour desquels le livre se construit. De ce lieu d'errance et de ces " routes qui me furent vérité ", émane une voix prophétique  témoignant de la seule vie qui reste. Elle peut le faire car la route, même si elle est un lieu paradoxal : " où rien n'est le lien qui ne soit aussi rupture " est bien cette " continuelle semence " à la fois début et fin. Cette route " dont j'ai cru qu"elle conduisait au monde " puisque à chaque village  " Dieu résidait " est l'espoir que seule " la marge bordant les mots " remplace enfin ici. Après elle donc, pour Jacques Pautard, l'écriture.

 

 

Dès le deuxième mouvement intervient, par opposition, le thème de la ville, " le lieu de l'homme ". 

La petite ville autobiographique de Vesoul apparaît comme une pause dans le livre : elle est le repos du guerrier, celle " à qui une femme se confond " avec ses " achélèmes " et  " ses rues en point de croix " et " son vieux pont aux jarretières de fer " à la Apollinaire. Le poète est amoureux de cette : " Petite ville dans sa page vierge aux marges où / se sont écrit la moitié des poètes suicidés ".  Sur trente pages, loin pourtant des rêves exotiques, une poésie éprise de nature, d'animaux et de " rires d'enfants ", frôle le lyrisme.

C'est là que, pupille de la nation, il a été logé dans le " Foyer de l'Enfance abandonnée " et qu'il erre, fasciné par la gare et ses trains, cette " montagne de fer ".  

Petite ville " modèle ", qui mérite, à la fin du chapitre, que soient remplacés les vers longs par une incantation en vers brefs.

 

C'est Paris, elle qui " me rend goût de penser ", qui occupe la deuxième partie du recueil. Trois variations sur ce thème encore de la ville dans lesquelles le lecteur se perd comme dans la capitale elle-même. En effet le potentiel des choses à dire, douces ou cruelles, est affolant : " Tant de vie finalement, finalement contre la vie ". " Les réflexions harassées " finissent par obscurcir le style et, avec  lui, la pensée. Sur un fond de révolte et de solitude la ville-vampire peut faire de vous un esclave et de son désordre naît une pensée chaotique surtout quand il s'agit de réfléchir sur le théâtre comme genre et sur celui que représente la vie. La grammaire est ainsi malmenée à souhait dans une quête où l'orpailleur perd son or et où le dominé lui-même ne se rebelle plus. Comment donc trouver l'être face au vide des miroirs, symboles du paraître, du double et, pire, de la non-identité ?

 

Car, à ce propos justement, l'identité mise à mal est un thème récurrent dans le texte " Atlas ", entre autres,  où est définie l' " étrangéité " que les hommes vivent par rapport à eux-mêmes et également entre eux dans ce melting-pot raté où tous sont des esclaves comme cet homme qui " avait porté la ville sur son dos ". Autant de vies sur lesquelles les intellectuelles sont " assis ".

Aussi le corps lui-même est-il divisé en morceaux, le moi en deux parties. Il y a l'obligation d'être un autre que soi quand on est métis" entre deux-mondes " - Jacques Pautard est né en 1945 d'une mère paysanne et d'un père soldat noir -  et qu'on est à la fois uni et divisé face à la fausse identité des nantis racistes. Dans " Mélanine " le discours poétique en vient à la diatribe pour une parodie, par son auteur, de sa propre personne qui s'achève en interrogations multiples.

Il s'agit alors de décrire " ce duel à mort " avec soi-même aboutissant à un deuil au milieu du mensonge de la vie où "  la pièce est jouée par chacun " et où " c'est en se faisant son faux que l'on se devient ". Le leurre s'étend à l'ensemble du monde et même à la faune et à la flore à tel point que chez soi semble " ailleurs ". Il reste à pardonner à Paris et à faire don de son être ", Amour étant le nom commun ".  Une communion qui s'étend dans le temps-espace  à l'ensemble du pays dès le premier mouvement du livre où la personnification est à la mesure des passions du poète écorché : " Mais, France, je te voyage alors par tout le corps, te cherche au fond des images les plus saintes…".

 

L'écriture est du même coup, le témoin radical de la sensibilité de l'homme en présence.  Des néologismes ou emprunts : " remembrance ", " semblance ", des images, comme cette hypallage surprenant : " rives applaudies de mouettes ", donnent par détour la vérité. Les figures sont sorties de leur usage normatif et déconstruites, les métaphores, les associations d'idées surréalistes touchent à l'adunatone, figure de l'impossible. Emploi fréquent aussi du participe présent puisque enfin " nous vivons au présent " – Desnos le dit en exergue - et écrivons dans un work in progress.

Nombreuses sont les surprises autant syntaxiques que lexicales. Elles témoignent d'une révolte face à l'injustice qui a rendu ces justes définitivement anti-conformistes. Des verbes se trouvent alors en début de phrase et même de façon anaphorique et litanique : " Ai…, Ai…, Ai…". Des phrases sont inachevées, souvent nominales, de sorte qu'on doit en décrypter le sens surtout quand elles contiennent des relatives qui expliquent le texte à retardement. Des ellipses fréquentes, comme celle des mots - outils, rendent la lecture à la fois difficile et attachante de la même manière que la phrase elle-même, quand elle se fait fautive, représente  parfaitement l'errance et la révolte qui en est la conséquence. Et si grandes ont été les injustices pour tous ces bannis que les énumérations sont loin d'être rares puisque il n'y aucune raison de faire cesser une logorrhée rédemptrice.

Ces trouvailles incessantes, ces phrases longues, en véritables périodes, sont celles d'un génie de l'observation qui a vu, par exemple, " la cigarette au bec des premières divorcées " et beaucoup d'autres choses.

 

 

Ainsi Jacques Pautard arrive-t-il à parler avec une force étonnante des maisons de correction et prisons " d'innocents " pour des garçons " au grand cœur " dont " le pire avait volé un pain ". Le voilà Victor Hugo avec des expressions de ce genre employées dans des versets de voyou qui s'abstiennent de terminer la ligne.

Ces héros martyrisés peints par une parole épique sont liés par l'amitié grave et solidaire de tous " les sangs humiliés ". Sur eux, véritables poètes ou exilés à " l'enfance massacrée "  repose " l'honneur de l"humanité ", eux auxquels de nombreux qualificatifs, comme celui de " grands puceaux au coeur floué ", rend hommage tout au long du livre.

Dans " Beatnik " le vieux Paris est décrit comme une cour de miracles pour " une génération perdue " - Allan Ginsberg est lui-même cité – et un flot de paroles y mime l'ivresse  au propre comme au figuré telle une " promenade sans fin " en compagnie, parmi d' autres, du prophète Mouna. L'écriture devient exténuante comme pour venger ces réprouvés, usés mais, véritables Diogène, pleinement existants malgré " les Auschwitz transparents d'une aube ". Depuis Compostelle jusqu'à Katmandou ces vrais humanistes ont dans leur juke-box "  l'Adagio d' Albinoni " et dans leur usine règne une " conspiration pour la libération du monde… ".

Par ses références culturelles, de Villon à Léo Ferré, le poète maudit est présent au monde  dans tous les domaine artistiques et intellectuels : cinéma, musique classique et variété,  philosophie et littérature avec l'évidente Mort à crédit.

L'absurde côtoie ici la beauté et le baroque participe à définir l'opus qui fait, conjointement, sa part la plus belle à la simplicité.

 

 

Cette langue complexe, parfois confuse, qui, dans tous les cas, refuse la norme, nous mène aux frontières du rationnel et sa lecture dont il n'est pas toujours facile de suivre la logique reste cependant fascinante jusqu'au dernier vers.

 

 

 

                                                  France Burghelle Rey ( juillet-août 2014 )

 

 

 

 

 

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