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9 octobre 2010 6 09 /10 /octobre /2010 05:06

Passant de la lumière, Béatrice Bonhomme-Villani, L'Arrière-Pays, 2008, 7 € 50

 

 

 

 

Dès la première page du recueil on est saisi par la force incantatoire des versets et on se souvient, à ce sujet, du goût de l'auteure pour la formule, la litanie, comme elle le dit elle-même, ( 1 ) qui, par son caractère sacré initial, sert ici parfaitement l'éloge funèbre du père.

C'est l'expression simultanée de l'absence et de la présence qui retient tout de suite l'attention du lecteur et une identification se fait facilement, dans l'émotion, entre lui et la narratrice même s'il n'a pas été frappé encore par un tel deuil. Pour peu qu'il ait lui aussi, cette filiale nostalgie, le tour est joué avant le deuxième chapitre.

La langue a son rôle dans cette réussite par la qualité de son vocabulaire et chaque mot, de plus, semble avoir été choisi avec minutie par la poète dentellière. Celle-ci, d'ailleurs, écrit " Tu habites la dentelle d'un corps délivré du temps " et plus loin parle de la " dentelle de tes mains d'os et de pierre ". Ainsi un camaïeu  de blanc et d'ivoire, qu'il s'agisse de la neige, de la nacre ou du cristal encore, domine-t-il ce premier chapitre dont la fin rappelle la force initiale :  font chute les derniers mots : " la pureté inoubliable / de ton élan vers le monde ". Il faut ajouter que dans un crescendo notable le tutoiement anaphorique a renforcé l'impression de fusion entre la fille et le père dont la présence va s'exprimer de façon oxymorique.

 

Au chapitre suivant, en effet, le dormeur incessant trouve une sorte de naissance dans son eau " originelle ", dans " ce placenta de pierre ". Le titre " nidification de la lumière " annonce  clairement le thème exprimé et tout un lexique exprime la vie, son cœur, son flux quand, lui, le mort qui a rejoint les limbes, " demeure " " porté " par l'amour de la fille devenue " mère ", porté aussi au creux de l'écriture. La nouvelle vie ici créée est celle permise par la poésie et il n'est que de redire le souhait de la poète " Tout, malgré la mort, reste émouvant enchevêtrement des fils de la vie. Mon poème aimerait rendre compte d'un commencement. ". ( 2 ) L'échange qui est évoqué semble se produire au-delà de deux cœurs, ceux d'un enfant et de son père. C'est l'échange entre la mort et le recommencement.

 

Puis vient  " Dans les silences du passeur " où les premiers mots " la pluie réveille les veines de la terre " montrent que la nature est remerciée, elle qui abrite le silence devenu verbe dans une célébration magnifique : " Sur la tombe, on s'est assis dans la caresse familière / de cette pierre où tu silences.". La paix enfin trouvée permet le retour à l'imparfait, à la pensée du passé et l'on apprend que le père offrait le monde qu'il détenait. Cette place laissée à la nostalgie est éphémère du fait de la fusion entre, cette fois, l'absent et la nature. Le début du dernier verset fait là aussi chute : " Mais ton cœur demeure le cœur battant du paysage " avant qu'un nouveau chant, plus superbe encore, ne célèbre " les fiançailles de la mort ".

 

Le choix des mots continue à faire les délices d'un lecteur qui découvre le terme inattendu de " kaléidoscope" et va de plaisir  en plaisir avec la musicalité des substantifs " encorbellement ", " tonnelle ", " magnolias ". On a, dans ce passage, confirmation du vécu sensoriel de Béatrice Bonhomme et son jardin d'enfance revit pour nous. Au milieu de l'inanimé, s'illumine un " visage ", présence mystérieuse qui redevient le " tu " du tant aimé auquel peut s'identifier la narratrice puisque, comme elle, il chante " à voix basse, / chantante, la chanson de l'autre rive…celle d'une berceuse de la pluie ".

 

A l'avant-dernier chapitre l'acmé est atteinte quand les symboles humains de la mort sont évoqués dans leur inévitable destruction et, ici encore, une anaphore " Il y a désormais " assiste l'incantation litanique. Mais malgré " la finitude de toutes les constructions ", " le précaire "et " l'absence infinie ", l'espoir reste grâce à l'amour de la fille, elle toujours en vie, qui crie pour finir " Et demeure mon amour pour toi par delà / les frontières de ta mort ".

 

Et, à la toute fin du recueil, c'est encore du chant qu'il s'agit. Dans " Passage du passereau " une variation sur un même thème, un leitmotiv délicat et symbolique définissent les dernières litanies propres, sinon à réveiller le défunt, du moins à ne pas troubler son sommeil. " Litanie, a dit Béatrice Bonhomme, au plus près de la pulsation du corps, du sang, des mots, créant d'abord chez le lecteur  comme un apaisement, un bercement, une sorte d'hypnose. "  ( 1 )

 

Jusqu'aux dernières lignes celle-ci ne renonce pas à la répétition qui est commune à la poésie et à la musique puisque " Le texte est lieu de partition, lieu musical. ". ( 2 ) Sa  partition, à elle, la fille, s'achève avec des jeux lexicaux autour du radical du mot " passereau ", l'âme peut-être de son père, dont la couleur bleue, rouge, ou grise varie tant il est beau d'hésiter. L'auteure de Passant de la lumière, attachée à la transdisciplinarité, a dit aussi : " poésie et peinture se recherchent. Auprès de ces artistes, les poètes ont pris des leçons de dépouillement " ( 2 ). Elle nous offre ainsi, en conclusion, le meilleur de son art, par la finesse de son estampe où la présence de la lumière et de la couleur est sensible. Comment mieux chanter et remercier le père peintre ?

 

Par la musique, le dessin et avec le rôle cathartique de la parole écrite et transmise, la mort est ici revécue dans la confiance mais aussi transcendée. En effet s'il convient de parler d'amputation due à la perte, il convient de parler aussi, grâce à cette poésie de célébration qui le sanctifie, d'une véritable résurrection du disparu.  

 

 

 

                                                                                               France Burghelle Rey

 

 

 

 

 

( 1 ) Entretien avec Serge Martin in Anthologie à plusieurs voix, Armand Colin, 2010

 

( 2 ) Entretien avec Rodica Draghincescu, Nice, 20 mai 2008

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             

 

 

Béatrice Bonhomme-Villani, poète et essayiste, vit à Nice. Elle a publié des livres de poèmes, des récits, des pièces de théâtre ainsi que des articles et ouvrages critiques sur Pierre Jean Jouve et sur la poésie contemporaine. Professeur à l’Université de Nice, elle est responsable d’un Centre de Recherche sur la littérature, le CTEL, au sein duquel elle a créé en 2003 un axe voué à la poésie, Poièma. Elle a fondé avec Hervé Bosio, en 1994, la Revue Nu(e) qui a consacré à ce jour 45 numéros à l’oeuvre des poètes contemporains. Elle dirige la Société des lecteurs de Pierre Jean Jouve et les Cahiers Jouve. Citons les derniers livres parus : La Maison abandonnée(Post-face, Bernard Vargaftig, Melis, 2006), Mutilation d’arbre (Préface Bernard Vargaftig, Collodion 2008), Passant de la lumière (L’Arrière-Pays, 2008), Mémoire et chemins vers le monde (une étude qui s’inscrit comme un hommage à de nombreux auteurs contemporains (Melis, 2008) et Pierre Jean Jouve ou la quête intérieure ( Aden, 2008). La pièce La fin de l’éternité a été créée à Grenade en 2009.

 

 

 

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