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22 décembre 2011 4 22 /12 /décembre /2011 06:23

Le grand silence, Oratorio, Gérard Pfister, Arfuyen, 2011

 

 

 

Le nouveau recueil de Gérard Pfister se caractérise par des paradoxes qui s'expriment dans la force de leur répétition et de l'effet incantatoire que celle-ci produit. Une écriture " précaire " servie par les allitérations, les assonances, voire la paronomase, favorise  le rythme solennel de la marche des morts et de celle du narrateur qui ne sait où il va. L’auteur, lui, est un véritable pianiste qui se sert des syllabes comme de touches pour exprimer l'échange entre les " témoins " et " l'enfant " : " et je sens / leur présence / et je suis / leur présence ". Il y a, dans Le grand silence, une forme de lyrisme d'une discrétion et d'une originalité rares.

La ronde incessante de vocables magiques s'exprime en un grand souffle qu'amplifie parfois le réalisme, comme celui avec lequel le sang est décrit. Aussi, dans l'éternel retour des morts et des mots, se baigne-t-on toujours dans le même fleuve et " rien / ne se perd ". La banalité, ou plutôt la simplicité,  fait ici une très belle alliance avec la poésie.

Mais on assiste, dès l'aria 3, à un crescendo quand la foule se fait " innombrable " et que monte alors la tension due à l'anankè de cette " marche longue, sans but et déjà implacable ", comme l'écrit Gérard Pfister dans sa note. Quand la nature et l'espace sont, plus loin, investis, le paradoxe reste tenace : la marche, qui pourtant a progressé depuis " Faux " est immobile, la lumière nocturne. Le doute, en même temps, s'accroît quand le narrateur crie " tout me quitte ". Mais à l'inverse " tout…s'apaise " car il y a un  aspect double et sans limite des choses. Alors se produisent la confusion du sang et de l'eau et la confusion aussi de " mon sang " et du sang " de mes pères ".    

A la fin de l'aria 6, " c'est le jour / du grand silence " puisque seul le ciel fait du bruit ".

Les morts silencieux sont présents, eux encore, jusqu'à la fin de l'incantation et " portent / comme un grand arbre / de silence " celui qui, en quelque sorte, est leur prêtre. Ainsi l'office de cette unique phrase a-t-il bien eu lieu et la joie est-elle encore plus " vivante " car les morts ne sont pas morts tant ils sont aimés .

Il a été dit, dans la chute de cette aria 6, que " le vide / rayonne " et, à la fin du recueil, comme le vieux Siméon de l'Evangile,  "je ", après voir vu la lumière, peux devenir " un mort / parmi les morts ". Seuls restent les mots, leur rêve et leur silence.

 

 

 

                                                                                France Burghelle Rey   

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26 novembre 2011 6 26 /11 /novembre /2011 07:20

Dans le silence  des mots, Joëlle Gardes, éditions de l’Amandier, 2008

 

 

Le titre du recueil est l’expression exacte du paradoxe entretenu tout le long du recueil comme un véritable fil conducteur. Dès le poème liminaire se font ainsi face l'animé et l'inanimé, " l'oubli des voix " et le souffle des choses ", le bruit et le silence : " Je veux entendre …le silence des mots". On trouvera plus loin des oppositions douloureuses comme celles de l'hier et du présent : " autrefois et aujourd'hui les tapis lavés dans l'eau salée  / l'odeur des beignets et celle de l'ambre … " puis, au cœur du sujet, avant la chute finale, celle de la vie et de la mort : " Les bouquets sont pour les tombes " que symbolise, .à plusieurs reprises, le contraste entre la lumière et l'obscurité, et plus concrètement encore, celui qu'expriment la neige et l'ombre. L'allitération n'hésite pas à accompagner l'expression d'un chant sans lyrisme à proprement parler : " Le noir qui avale l'espace au crépuscule est troué de l'éclat de quelques plaques blanches et de l'envol d'un merle au ras du potager endormi. "

 

Joëlle Gardes est si près des choses qu'elle peut les chanter en oubliant de parler d'elle. L'oxymore permet finalement d'accéder à la vérité et s'exprime dans certaines formules véritablement magiques. C'est ainsi qu'en face du titre de la partie finale et décisive, on peut lire : " Les yeux se ferment pour mieux voir ce qui ne se voit pas ", qu'il faut attendre les toutes dernières pages pour que le néant l’emporte sur les oppositions et que se boucle, dans le privilège de l’oubli évoqué dès les premiers mots et dans les dernières lignes encore, une pensée apaisée par la résolution des contraires.

Avant cette victoire finale, la tension entre dans la définition même de l’œuvre et ne cesse que dans l'expression de l'unique qui, comme le bleu, rapproche les contraires : " Aujourd'hui comme autrefois le bleu immobile mouvant."  Joëlle Gardes cherche l'unicité et l'aime comme une source même de poésie.

Avec une thématique qu'on pourrait qualifier de banale, si elle n'avait pas la beauté d'une simplicité voulue, l'auteure recrée un monde poétique, le revisite sans cesse, avec un regard nouveau tantôt joyeux tantôt désespéré. La quête, si elle tend à se passer des mots ou plutôt de leur bruit, affirme, dans le premier volet éponyme, par sept textes nommés " scansion", son besoin d'émotion à travers la musique, le rythme d'un dit sous forme de questions ou d'assertions révoltées. Celui-ci trouve ses propres marques dans des versets qui, tutoyant la prose, avortent ou alternent avec des vers brefs. Il se fait aussi dans l'alternance de textes longs et de textes plus courts et comme dans le refus de règles internes précises.

Ces choix n'empêchent pas un travail récurrent sur les sons. On entend, par exemple, les assonances faire écho au mot " silence " lui-même : " je contemple la neige qui m'engourdit de son silence " et les allitérations exprimer la liquidité de la Méditerranée : " plaine liquide mer du milieu ". Ainsi l'eau avec la vague qui " jaillit ", le vent " qui rend fou " témoignent de " la fureur cachée "  et font partie comme les autres éléments d'un ensemble d'actants.

On peut parler, dans cette poétique, d’une véritable présence au monde réel, qu’il soit proche ou qu’il soit ailleurs, présence presque à chaque page inspirée et expirée : " J'avale le monde dans l'air que je respire ".

Mais la diversité évoquée par la richesse étonnante des mots est révélatrice d’un malaise et c’est en arrivant à faire l’économie du langage que Joëlle Gardes peut trouver, dans un certain silence, sa voix et sa véritable musique. Dans l'élaboration de l'œuvre, la variété des thèmes et du vocabulaire propre à en balayer le champ, si elle exprime certainement un mal-être, n'est là que pour accéder à l'unique. L'économie de mots, témoigne, dès les premières pages, de cette philosophie du texte.

 

Ainsi certains textes sont-ils d’une concision étonnante et d’autres se relâchent dans un réalisme en crescendo révélateur d'une colère qui doit s'exprimer pour sortir de l’étouffement.

 

Tout d'abord, l'expression de la nature, définie dans sa renaissance, se fait conjointement avec celle de ses contraires : la guerre, ses morts et ses ruines urbaines.

Les phénomènes naturels sont ici "  la seule réponse, l’équilibre ultime du monde ". L’auteure s’applique, à force de touches poétiques, à nous transmettre son état de grâce. En effet, il faut " deviner le bourgeon sous la neige ", assister à l'envol des mouettes, noter que " la main attrape un papillon et se couvre de poussière dorée ". Et c'est la saison nouvelle qui " engloutit l'arrière-saison " et nous offre les plus belles pages du recueil avec, par exemple, " la main abandonnée hors de la barque ". Il faudrait citer encore nombre de vers d'une grande beauté et ne pas se contenter d'évoquer " la fournaise d'août " par la phrase : " La mouche bourdonne une dernière fois puis s'immobilise " ou bien la présence de la Sorgue qui nous rappelle René Char.

 

Et s'il y a, ensuite, chez Joëlle Gardes, une fascination de la couleur exprimée dans de nombreuses récurrences comme celle de la neige, c'est déjà un parti pris de réalisme. La poète colore, comme dans un réflexe synesthésique, les sentiments eux-mêmes : " le visage de la colère est rouge ou blanc et celui de la peur jaune ". Le rouge étonne, plus loin encore, livré en anaphore dans un magnifique camaïeu: c'est Marrakech !

Mais, comme chez beaucoup d'autre auteurs, la couleur-clé est le bleu avec l'espérance qu'il suggère puisqu'il " a envahi la maison, le golfe, les collines" jusqu'à la mer, un " Bleu de l'indistinction des êtres et des choses " qui est un trait d'union entre aujourd'hui et autrefois.

Une partie des réponses semblent bien se trouver dans cette paix possible.

Les mots de couleur ne sont pas seuls à enrichir ici la poétique, il y a aussi un lexique souvent recherché, voire un lexique de mots rares : " mots difficiles apophatique et diastique azalaïe et anhinga…" comme également des noms sonores : " curcuma safran cumin ".Mais quand le réalisme l'emporte et qu'il fait crescendo, avant même l'installation d'un malaise qui va jusqu'à la présence de la mort, le silence éponyme de l'œuvre l'emporte. Puis ce malaise se manifeste non seulement à travers des champs lexicaux et des vocables choisis mais aussi dans le rôle avoué de l'écriture.

 

Enfin, si Marrakech a gardé ses secrets, c'est en Tunisie que se fait l'expérience de la souffrance et de la finitude : " quand le temps qui nous reste…se réduit au maintenant ou jamais ". Et ce sont " ossements sous la dalle ", " urnes vierges de leurs cendres …dispersées sur la mer " qui ramènent à l'anonymat, au néant. Après des descriptions qui touchent au baroque, l'écriture peut se faire minimaliste car " la vie s'en va à pas feutrés ". C'est aussi  par la symbolique d'une métaphore filée que se manifeste le mal-être et cela dès le début du recueil. : " l'encre salit les doigts ", " écriture devenue illisible ". Mais si " les mots jetés sur la page ne sont que reflets menteurs ", comment se fera la communication de la beauté et de la vérité ?

En effet, accablé par l'ennui, l'homme mène une vie ponctuée par " la répétition des actes", la " répétition des paroles ",  " la répétition de soi ", par "  les questions sans réponses ". La nature n'est plus alors d'aucun secours car " celui qui écrit du fond de sa détresse ignore les saisons " et, peu à peu, s'installe parallèlement à l'écriture le besoin de silence comme en témoigne par endroits une économie de mots remarquable. Il y a même un certain renoncement à la musique ainsi que cela arrive dans l'extrême concision. Dès le début Joëlle Gardes a l'intuition de ce besoin quand elle écrit :

 

" Rêve de mots sans musique

  Sans choc ni cliquetis de sonorités

  De mots pour l'œil et pour l'intelligence

  Rêve de mots dont la musique sera une épure

  Comme les mathématiques

  D'une émotion sans émotion

  D'une passion sans passion… "

 

Elle sait déjà, veut nous faire savoir qu'il y a " le silence éternel ", " le rien, où aucune voix ne surgira ". Et le livre s'est écrit, malgré tout, car elle avoue préférer encore le bruit et même la laideur des cacophonies. Aussi " la main se rebelle, biffe et rature "-t-elle. Joëlle Gardes réussit ainsi par un tour de force, dans un renoncement à la parole, une de ses plus belles pages où des phrases nominales brèves ne gênent pas le travail sur les sons et résument, en une dizaine de vers, la vie humaine jusqu'à leur chute apollinarienne : " Puis le linceul les têtes ébouriffées de chrysanthèmes ".

Cette dernière partie fait le point. L'auteure y prend sa respiration pour parler de la vieillesse, du jour " où elle sera livrée au calme des souvenirs " avant la mort qui viendra, du moment de sa vie où " l'esprit tâtonne à la recherche du mot ". On pense à Nathalie Sarraute à la recherche du mot " tamaris ".

A l'occasion de cette fin du recueil, le lecteur se voit surpris car il est là question de maladie, d'hôpital, d'un mal-être à la fois physique et moral, et comprend alors la portée autobiographique de ce qu'il vient de lire. Puis, après avoir réussi encore à parler, Joëlle Gardes va se taire mais elle évoque auparavant, au climax de son réalisme et dans une veine villonnienne augmentée de l'expérience des camps, les vers, le sang et la mort.

Les mots pour le dire, avec "  la main impuissante ", ne sont qu’une solution provisoire et le silence de la fin peut, une fois l’œuvre achevée, être vécu comme une délivrance.

 

 

A la fin, précédant le " silence des mots " qu'il faut comprendre comme un groupe nominal au génitif à la fois objectif et subjectif -  on lit en effet : " nous leur disons ce que nous avons tu  au milieu de paroles vaines  " -,  la fusion des contraires va s'effectuer pour que cette poésie tendue vers l'impossible trouve son sens.

Alors, après " la rencontre de la mer et du ciel sur l'horizon ", cette lumière qui rend aveugle va jaillir " dans notre nuit " avant que " les paupières ( ne ) se ferment ".

 

 

 

 

                                                                             France Burghelle Rey

 

 

 

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2 octobre 2011 7 02 /10 /octobre /2011 17:33

Note critique de Gérard Paris dans le n° 8 de la revue Littérales, 2011 pour Lyre en double :

 

                                             "  Recolle enfin la mosaïque

                                                 de tes syllabes en miettes

                                                 Emotion en tesselles

                                                 Morceaux devenus phrases

                                                 Ta beauté renaîtra " 

 

 

  Avec trois illustrations rappelant à la fois le Moyen Age et l'Antiquité, France Burghelle Rey signe là son cinquième recueil après Odyssée en double ( 2009 ), La Fiancée du silence, L'Orpailleur, Le Bûcher du phénix.

  Ce petit recueil ( 64 pages ), où symboles et ellipses rythment le poème, se divise en six parties : Quand montent enfin les mots, La peur commence à s'éloigner, Braises, Valse vers le soleil, A toi l'orpailleur : digue désormais rompue.

  Pour un champ ( par choix ) sémantique assez réduit, France Burghelle Rey mêle les mots, les syllabes, des paroles tantôt blanches, impures, de pierre, d'écume ou paisibles et un dialogue entre le " tu " et le " je " ( le jeu ) symbolisant la gémellité, pierre de touche du recueil :

 

 

                                                 " sans toi mon double

                                                           vertige au bord de mes mots

                                                                       bégayés

                                                                          puis

                                                                        enfouis

                                                         dans le sable de notre inconscient

                                                         je veux recoudre ici ce cœur coupé

                                                            voix à l'avenir monocorde

                                                         cri unique de nos vies jumelles " 

 

    Entre poème-oiseau et poème-palimpseste, France Burghelle Rey trace sa voix (e) et esquisse le chant d'un nouveau départ :

 

 

                                                   " Trahir son rythme

                                                                car on a honte de soi

                                                     Fascinante mythologie des autres

 

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                                                     Sais-tu qu'il grêlera cet été

                                                                 un alphabet de fleurs

                                                     sur tes champs sans cailloux

                                                                 bouquet d'un art nouveau ? "

 

  Des cris préférés aux cris tus, des mots tronqués aux mots réunis, le poète joue ( jouit ) de " sa lyre en double ", s'effaçant et renaissant dans ce monde inachevé, en cristal. G.P.

 

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2 juillet 2011 6 02 /07 /juillet /2011 16:56

Ce qui reste après l’oubli, Alain Duault, Gallimard, 2010

 

 

Le troisième volet du triptyque d'Alain Duault mériterait bien que son titre soit éponyme de cet ensemble de près de 400 textes car il énonce un paradoxe que développe l'œuvre toute entière et qui s'exprime, en effet, dès le premier recueil, Une hache pour la mer gelée. Déjà, en effet, la répétition des thèmes, les récurrences de mots, les assertions métaphoriques, les questionnements de l'incipit à la chute des quinzains permettent de comparer le travail du poète au ressac de la mer devant laquelle il aime travailler. C'est sans doute devant elle qu'il a évoqué les horreurs de la guerre qui l'ont marqué au point qu'il en est arrivé à écrire : " la guerre, c'est moi". Mais, dès les premiers textes, il s'était, à l'inverse, rappelé les bons souvenirs comme, dans cette description au présent, où, à propos de la femme aimée,  il parle de " la ligne de ses cheveux ou cette manière de monter son cheval bai ". Dans les nombreux passages consacrés à celle qui n'est plus et qu'il fait revivre ici, le poète hésite, sans aucun doute volontairement, entre l'emploi du temps présent et celui des temps du passé en les faisant alterner d'un chapitre à l'autre et même d'un texte à l'autre.

Mais si est précaire, comme sur du sable, cet équilibre entre mémoire et oubli - il arrive, au cœur d'une déclaration, à dire " j'aime te voir nue " -, entre présent et passé c'est bien pourquoi aussi Alain Duault semble n'en avoir jamais fini et son écriture, dans une sorte de logorrhée, s'exprime en ce phrasé qui emporte son lecteur jusqu'au dernier texte.

Et c'est vrai qu'il ressent cette lassitude qui, dès le premier volet, interrompait le flux poétique par ses interrogations : '" Sais-je comment", " Et sais-je encore " et qui perdure dans Ce qui reste après l'oubli, au travers de questions plus précises : " Comment demeure en nous l'intérieur " ou " Que reste-t-il à regarder ". La tentation première n'est-elle pas celle de l'oubli " pour n'avoir pas d'adieu à donner ". D'autant que l'oubli est le privilège de celui qui vit sa passion " : je me souviens d'avoir oublié tant de choses avec elle qui ne s'oublient pas ". Mais c'est en réalité un comble bien douloureux de se souvenir, de ne pas oublier qu'on oubliait  !  

Ainsi voudrait-on oublier encore comme quand l'amour était là.  Dans la poétique du narrateur amoureux cette évasion qui a eu lieu par l'amour est relayée par celui, métaphorique, de la mer qui, on peut le penser, tant il parle d'elle, lui a été d'une aide précieuse. Les images en parsèment le recueil et sont vaguelettes sur la plage des phrases : " les vagues de mes yeux " " tes mains de plage ". Jusqu'à la fin du recueil la mer va servir de toile de fond au récit de l'aventure amoureuse, jusqu'à cette dernière métaphore "  " Nous avions repris la mer ou la mer nous avait repris " qui inverse, comme souvent en poésie, le point de vue. L'écriture pour dire l'amour et l'amour qui forge l'écriture;

Ainsi l'évasion par l’amour et l'évasion par la mer se répondent-elles tout au long du recueil. Cependant ce désir apparent n’arrive pas à dissimuler que le poète désire encore se souvenir. Car les autres, eux, ont oublié celle qui est morte dans ce qu’il a appelé "  l’accidente "  et qui a marqué sa vie et son œuvre. Ils l’ont oubliée comme sait le faire justement la mer, " la grande oublieuse qui remonte son linceul ". Les autres le questionnent sur l'oubli et il se dit "qu'ai-je donc fait à la mémoire " dans un quinzain où " on l'accuse de joie car c'est inadmissible indigne d'aimer ". Mais si, dans la chute de ce texte, il fait aux " coincés " "  un bras de bonheur ", c'est bien que la mémoire ne peut qu'avec lui gagner. Il a, en effet, un rôle majeur à jouer :  il est un actant de la mémoire, son garant, son " auctor ". Cette posture agissante, il l'avait déjà par le passé où, il l'écrit, il voulait " voir "" comprendre, " toucher ", " écouter ", " sentir battre les mondes " et il la garde toujours puisqu'il " regarde toujours " ces marins qu"il a pourtant déjà " tant vus ".

Car les souvenirs sont trop vifs. Il suffit de donner pour exemples les lieux et les voyages et tous ces détails foisonnants d'une topographie multiple qui ne peuvent mentir. Ainsi, à la fin du livre, deux textes nous font faire le tour de l'Italie à travers  Florence, Venise, Rome et Naples. Et on voit que cette écriture fait son devoir de mémoire quand son auteur parle d'Hiroshima, de la chute du mur et qu'il n'achève pas son recueil sans dire à propos d'Hitler et Staline " que faire du soleil de cette tendresse ignoble des tyrans "

On est en effet, ici, il faut le reconnaître, en présence d'un grand livre de la mémoire. Il n'y a pas que la géographie d'évoquée mais il y a aussi l'Histoire, la littérature et l'art. Dans ce troisième volet, il est question de Shakespeare et de ce qu'il écrit dans Henry V, mais également de Turner admiré à la Tate ou encore de " tous les Soljenitsyne et tous ceux qui attendent depuis quand  / Ils savent qu'ils sont trop vieux  ".

Dans cette grande exploration du passé, les souvenirs " extérieurs " ne sont pas les seuls qui comptent, il y a aussi les souvenirs qu'il convient d'appeler " intérieurs " et notamment les sensations. Celles, d'abord, liées à l'amour : la peau, le corps, les robes, le satin et les dentelles. Il y a même avant " la pluie quand on était enfant".

Il faut ajouter à cela que l'œuvre d'Alain Duault est un hommage constant de la couleur. On pourrait peindre ses poèmes, en faire des collages surréalistes car le poète imagine " le bleu des roses " ou " les yeux de lune rouge ", pour lui " l'aube est  coquelicot " et on l'asperge de " sable  noir ". Il entretient, d'ailleurs, un rapport privilégié avec les peintres contemporains nous livrant sa vision de l'un deux en écrivant, enthousiaste :" Jaune Rothko rouge dense jaune danse de l'été rose grenat… "  

A propos des couleurs, on revient à la mer pour dire que l'auteur y nourrit son imaginaire et son écriture de couleurs. Il y trouve le bleu, la couleur préféré des poètes et de l'humanité entière. Il l'étend à la nature et même  aux fleurs, comme il est dit plus haut.

Ainsi telle la mer et son ressac, la mémoire n'en finit-elle pas. La langue, en un superbe phrasé, mime la musique des flots. Il faut donc continuer d'écrire et obéir à la promesse du premier volet : " Non il ne faut ni se taire ni oublier " jusqu'à la fin du recueil  qui semble avoir son acmé avec le texte sur le Danube, le poème sans doute le plus harmonieux de tous. On y espère encore du bleu et ce mot de couleur est encore récurrent, il ricoche de texte en texte de même que le verbe " ricocher", minuscule mise en abyme, ricoche lui-même.

C'est ce jeu des mots, et il faut l'appeler du terme le plus noble de " poésie ", qui est bien " ce qui reste", ce miracle qui est l'écriture, cette partition qui chante la mémoire des choses même en les déformant. Le recueil aurait pu ne jamais finir et être bien un livre de mer et de sable car rien n'est terminé et après la vie, la mort et leur oubli, il reste l'écriture, la poésie, cette chaîne de textes qui roulent comme les vagues ou comme la pierre de Sisyphe. Mais celui-ci ne cueille-il- pas de l'autre main les fleurs de sa montagne ? Et ce chant des quinzains n'est-il pas rédempteur ?

Ecrire de la poésie c'est vouloir l'impossible, ainsi va-t-on de surprise en surprise avec des formules surréelles, proches de l'écriture automatique, appelées  en grec " adunata " dans un style où le vocabulaire est roi. Le lecteur se trouve alors dans cet état où "  la perception du monde est modifiée "  pour reprendre la définition donnée par Philippe Jaccottet lors d’un entretien paru dans le Monde des livres. C’est en effet à ce que Rilke appelle l’Ouvert que celui-ci fait allusion, ajoutant " je crois que toutes les œuvres poétiques, et plus nettement encore les œuvres musicales, nous conduisent plus ou moins près de ce seuil. " 

L'auteur du triptyque aime hésiter entre deux temps-espaces, celui de la réalité et celui de l'imaginaire " ouvert ", et entre un  écrit  et  un dit  ou  plutôt un chant de la mémoire.

C'est la musique alliée au vocabulaire et à l'imagination qui, ici, devient œuvre, autrement dit, " opera ". Alain Duault avoue pallier par l'écriture, telle une musique de chambre avec vue sur mer, le fait de ne pas composer de musique. Virtuose du rythme, celui qui est aussi musicologue, l'est surtout parce que chez lui la souffrance et l'émotion ont été premières.

La poésie haussée à ce degré de musique est très rare et la voix qui résonne dans Ce qui reste après l'oubli est l'une des plus remarquables de son époque.

                                                                                                 France Burghelle Rey

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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11 juin 2011 6 11 /06 /juin /2011 18:03

" Il faut être deux et que passe un courant pour que la poésie soit."  C'est par cette citation de Claude Roy que s'ouvre cet ouvrage de FB Rey qui apparaît au contraire, au départ, comme le fruit d'un méditation lyrique sur la séparation, l'absence, et la solitude. " Le tremblement de ta main / quand tu m'as tendu la rose des sables /…Je suis partie en larmes serrant cette fleur de pierre ". Cependant très rapidement se révèle le véritable sujet de ce recueil poétique qui ne se limite en aucune façon à reproduire l'inspiration de Marceline Desbordes-Valmore, mais se rapporte à un sujet beaucoup plus moderne qui est celui du pouvoir du langage et des mots. Les mots ( la poésie en somme ) ont bien sûr une fonction de consolation : " Moment de grâce pour la nuit de mes mots /qui cherchent ton visage consolante sève de ma vie sans toi. ". Mais, au fur et à mesure que se succèdent les poèmes, l'on se rend comptent que ceux-ci n'ont qu'un rôle de substitution. Justifiant le titre du recueil, les poèmes permettent, non pas à l'abandonnée solitaire, mais au couple reformé par la magie du langage, d'exister et de vivre à nouveau.  " Nous vivrons nos mots nos merveilles  / en sachant trébucher / pour mieux nous relever / dans un nouvel élan / Nous vivrons jusqu'au bout une double odyssée. "

 

                                                                                                  Antoine de Matharel

                                                                            in  Poésie sur Seine Printemps 2011 n° 76  

 

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9 avril 2011 6 09 /04 /avril /2011 20:57

 

L’auteur cisèle de courts poèmes comme un sculpteur une statue de marbre jusqu’à ce qu’elle reste figée dans une posture définitive. Dès lors chaque poème, riche de mélancolie, d’images inattendues, de mots nouveaux ou ré inventés, coule comme une eau tranquille et claire, mais dont on redoute en cas d’orage, la transformation en torrents ! Ses tous derniers vers :

Garde aussi tes yeux clos :

Ta nuit sera l’abri de ton imaginaire

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22 mars 2011 2 22 /03 /mars /2011 21:54

   Ce long poème est adressé à " l'autre ", ce double, disparu dans la mort. Les mots sont là pour tenter de conserver le partage en faisant revivre cet autre, aller au-delà du chagrin et survivre soi-même. " ... la nuit de mes mots / qui cherchent ton visage consolante sève de ma vie sans moi ". Et le chant peut se poursuivre à deux, comme l'indique le titre, qui peut se lire aussi " lire en double ".

La partie " Cendres " est faite de souvenirs du départ de l'autre : " mon poème   ce jumeau qui se consume pour toi ". Puis " La peur commence à s'éloigner" : tu es la rose / désormais / qu j'effeuille / et effleure ".

" Braises" est une injonction de revie grâce à la poésie à partager : " Rassemble je t'en prie en bouquets tes mots. / Avec ce fil de soie que j'ai tissé ici pour toi ", "... à chaque heure tu souffles / sur ces cendres / Ma poésie ma vie / brûle / braises braises braises / de mes vers ".

Dans " Valse vers le soleil ", le poète prie l'absent de guider ses pas dans le " pays inconnu " aux " étranges virtualités " ; " tu raconteras / l'in-ouï / le jamais vu ".

Dans la dernière partie " Digue désormais rompue " la fusion est totale à partir des souvenirs : " mes mots sont aujourd'hui la preuve de tes mot s", " Nous vivrons jusqu'au bout une double odyssée ".

Un recueil émouvant sur le deuil sur le double, conquis par la force d'une poésie lyrique au style original et soutenu.

 

                                                                       G.C.

 

                                                                                                  

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12 mars 2011 6 12 /03 /mars /2011 18:34


J.P. Lesieur in Comme en poésie n°45 :

Dans la poésie de France le mot qui revient le plus souvent est le mot " mot ". C’est qu’elle aime les triturer les faire avouer les opposer. En filigrane on trouve aussi le désespoir à cause de l’Autre, celui qui ne répond plus au désir d’amour et à tous les désirs en général surtout quand elle/il dit " J’ajoute  un jour à  notre éternité ". Elle publie aussi Le Bûcher du phénix chez Encres Vives. Vous pouvez lire les deux ensemble ou l'un après l'autre, ils se complètent parfaitement.

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31 décembre 2010 5 31 /12 /décembre /2010 04:45

La Neuvaine d'amour, Bruno Doucey, Editions de l'Amandier, 2010

 

A lire la Neuvained'amour de Bruno Doucey on a, dès les premiers vers, l'impression que le mot et son sens, le son aussi, confirment dans leur justesse puis semblent la résoudre " cette hésitation prolongée du son et du sens " par laquelle Paul Valéry définissait la poésie. Tout au long du recueil cette impression sera relayée par celle d'une profonde empathie avec l'autre. Cette fusion qui est celle du " je " avec un " tu " protecteur : " tu protèges ma vie de la vie des courants " se vit dans un espace-temps du départ au retour depuis l'incipit " Je pars " jusqu'à l'union finale. Profonde empathie également avec la nature comme lieu à la fois réel et métaphorique : " Je sens monter en moi une forêt sans arbre ".

La deuxième partie éponyme qui contient cet alexandrin révèle un lyrisme distancié s'exprimant par autant d'anaphores qui martèlent le texte, par des répétitions de vers au rythme ample et incantatoire. Il est vrai que, pour Bruno Doucey, la nature et le cosmos ont une grande importance et que ce cadre récurrent prouve l'attachement du poète à l'expression lyrique dans un chant qui enchante le lecteur par les mots de " forêts ", d' " oiseaux ", d'" étoiles ", de"  neiges ", de " fougères "  et de " pins ". Et c'est  sur son fleuve, dans la pirogue des mots, qu'il traverse le monde auquel il  donne, avec virtuosité et authenticité, sa présence.

Ainsi s'impose dans ce recueil un lyrisme qui exprime un rapport privilégié avec l'aimée et avec les mots dont le poète-narrateur se sert pour la louer. Celui-ci entretient avec la réalité et notamment avec les éléments un rapport si étroit qu'on peut parler d'une véritable symbiose où se révèlent, à travers des choix lexicaux, sa poétique et sa mythologie. On est bien alors face à une esthétique de la surprise et, à lire " Mon cri de latérite / Dépose sa couleur / Au creux de tes sillons ", on se réjouit totalement.

Sans attendre la fin, au coeur du recueil déjà " un et un font deux ", au coeur d'une nuit-bonheur où chacun confie sa peine en deux vers symétriques. Il faut, en effet, – rituel oblige –  dire les choses deux fois dans la réalité de la vie et des vers quand " nous dormons ensemble sans perdre la mesure ". La Neuvaine s'achève, par un procédé analogue, sur la répétition du verbe performatif " Je te nomme " qui, en conjuguant l'action et la parole, entérine pour la conclure l'alliance vécue et consacre l'amour définitivement. Lorsque enfin le poète prononce  " je te nomme ma femme comme on nomme le vin ",  il est l'acteur d'un sacrement et parle  comme en  présence de fonts baptismaux.

Ce choix de la neuvaine, prière de neuf jours dans l'attente de l'esprit saint, permet à un  chiffre plus spirituel de l'emporter poétiquement sur, par exemple, le chiffre sept lui-même bien usé. Mais avant de s'imposer une contrainte dans sa versification, le poète s'est élancé dans la première partie du recueil " A bord du Cavalier Grand Fleuve "et  a rôdé son rythme en cherchant à traduire son chant intérieur. Puis, il se choisit une forme fixe de neuf vers, comme l'amoureux s'impose une épreuve, et exprime avec perfection la profondeur de sentiments intemporels.

A la fin, pour évoquer les trois villages du " chemin kanak ", il peut alors envisager de parler sous une autre forme et dans la force de vers courts. Ainsi après la tension de la Neuvaine  y-t-il a pour le poète-narrateur et le lecteur comme une détente du corps et de l'esprit. L'exotisme et le choix de mots rares qu'il entraîne n'y sont pas pour rien et font contraste avec la complicité traduite auparavant. Si on est loin dans l'espace, on l'est aussi dans le temps, comme à son aube : " Et je suis l'homme en marche / à l'orée de lui-même ". Le couple est devenu archétype avec  ses "  dieux égarés " et le chant touche au sacré jusqu'à l'emploi du vocatif : " O ma petite mère au ventre mutilé ".

C'est, à l'issue du recueil – le " grand nomade " le crie –  l'aube également d'une parole que les mots, au gré de la " pirogue " des vers, porteront " Sur l'autre versant du monde ".

La poésie, avec, ici, son futur sonore, représente, grâce à Bruno Doucey, l'espoir.

                                                                         France Burghelle Rey

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8 décembre 2010 3 08 /12 /décembre /2010 17:23

L'orpailleur cherche des pépites, si le fleuve de la poésie passait devant lui, il aurait sûrement ramené dans son havresac ce recueil où l'enfant est une présence constante et obsédante.

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