Lointitude, le recueil de Patricia Laranco, plonge le lecteur, dès son poème liminaire, au centre des problèmes de l'être, dans le questionnement le plus intime. Les trois vers mis bout à bout : " Effacé…dans le mot…par l'exil" en sont une preuve ainsi que les derniers vers qui sonnent comme un cri : " Le Rien…/ miroir glacé /où l'on ne peut / se reconnaître ". Il s'agit bien de l'abolition de l'être et par là de ses mots et de son écriture elle- même. L'homme se trouve réduit à un corps, à une voix, à un visage et cela " au fond du fond de l'univers " dans le silence et l'obscurité.
Le ton est donné dès les premiers textes où une philosophie se révèle et s'exprime dans de vraies trouvailles. Nous nous y reconnaissons " tissés d'espace et de temps ".
La poétique de l'auteur se nourrit d'éléments concrets, de la pluie, de la peau et un réalisme tout villonnien fait hurler les loups en plein " crépuscule d'hiver " jusqu'à la roche de Lascaux qui suinte.
Quand l'auteure fouille son imaginaire c'est pour conduire son intimité " jusqu' à la racine de l'univers ". Mais s'il y a geste, nous dit-elle, c'est pour mieux se rétracter ", pour " regagner l'état originel ".
Comment exprimer plus clairement, tout en respectant la part de mystère de la poésie contemporaine, la souffrance humaine et ici celle du vrai poète ?
Il faut attendre le coeur du livre pour y lire l'espoir, celui qui vient par les roses. Sont-elles des roses de l'ailleurs, d'Ispahan? Elles sont, en tout cas, les roses du pays des poètes et elles y " vibrent ", comme plus loin vibre la présence des enfants-rois, du firmament et du pain.
Ainsi les variations surprenantes du ton sont-elles une preuve de plus que le réalisme ne nuit pas à la grande et " belle " poésie. En effet comme les roses – et c'est une surprise de plus – est évoqué un visage qui nous tient lieu de légende tant il est beau, celui de la grand-mère. Chaque lecteur de Patricia Laranco ne peut que s'identifier aux éléments fondateurs de la petite-fille devenue poète.
Malgré ces raisons d'espérer, le mot " vacuité " est un cri de plus mais on n'est pas ici à un paradoxe près comme chez tous les poètes-philosophes. Et cette vacuité n'est-elle pas plénitude en fait ?
L'écriture permet sans doute, comme dans l'athanor des alchimistes, la résolution des contraires, et contient de quoi stopper le vertige devant le " lézardement du réel " évoqué dans " Sensation ".
Mais " Séquelle " nous dit une fois de plus que rien n'est simple. Le texte qui le suit, en effet, s'appelle tristement " Solitude " et rime, pour faire sens, avec " Lointitude ", néologisme éponyme ingénieusement créé.
Ce livre circulaire comme dans les cycles de vie et de mort, nous fait retrouver, dans la respiration du poème et dans le souffle de l'écriture, la "présence " évidente et torturante de la non-parole, du non-dit.
Mais nous avons été heureusement apaisés le temps de notre lecture. Avant de refermer ce recueil remarquable par ses trouvailles et son message nous avons compris que tout se fait, se pense à cause du " vague-à-l'âme ".
Aussi Patricia Laranco rejoint-elle l'Olympe des poètes qui, sous d'autres cieux et à d'autres époques, ont défini cet état de l'humanité aux prises avec le " joyau de l' immaculée nuit "et nous ont légué, par l'admirable véhicule de la poésie, leurs souffrances et leurs joies.
Nous ne pouvons que l'en féliciter chaleureusement.